Slight change of plan: because so many people did the mock exam, we will look at that one this Wednesday, and only move onto Montherlant afterwards. We will be in room A409. If you didn't do it, here it is :
Je suis né le 28 avril 1882, à Tortisambert, petit
village bien joli du Calvados, dont on aperçoit le clocher à main gauche quand
on va vers Troarn en quittant Livarot.
Mes parents tenaient un commerce d’épicerie qui leur
laissait, bon an, mal an, cinq mille francs de bénéfice.
Notre famille était nombreuse. D’un premier lit, ma mère
avait eu deux enfants. Elle eut avec mon père, un fils et quatre filles. Mon
père avait sa mère, ma mère avait son père —ils étaient quittes, si j’ose dire —
et nous avions, en outre, un oncle sourd-muet.
Nous étions douze à table.
Du jour au lendemain, un plat de champignons me laissa
seul au monde.
Seul, car j’avais volé huit sous dans le tiroir-caisse
pour m’acheter des billes — et mon père en courroux s’était écrié :
– Puisque tu as volé, tu seras privé de champignons !
Ces végétaux mortels, c’était le sourd-muet qui les avait
cueillis — et ce soir-là, il y avait onze cadavres à la maison.
Qui n’a pas vu onze cadavres à la fois ne peut se faire
une idée du nombre que cela fait.
Il y en
avait partout.
Parlerai-je
de mon chagrin ?
Disons
plutôt la vérité. Je n’avais que douze ans, et l’on conviendra que c’était un
malheur excessif pour mon âge. Oui, j’étais véritablement dépassé par cette
catastrophe — et n’ayant pas assez d’expérience pour en apprécier l’horreur, je
m’en sentais, pour ainsi dire, indigne.
On peut
pleurer sa mère ou son père, ou son frère — mais comment voulez-vous pleurer
onze personnes ! On ne sait plus où donner de la peine. Je n’ose pas
parler de l’embarras du choix — et c’est un peu pourtant cela qui se passait.
Le docteur
Lavignac, appelé dans le courant de l’après-midi, ne cessa de prodiguer,
pendant des heures et des heures, ses soins éclairés, mais, hélas !
inutiles. Ma famille s’éteignait inexorablement.
M. le curé,
qui déjeunait ce jour-là chez le marquis de Beauvoir, est arrivé à bicyclette
vers quatre heures. On allait avoir bien besoin de lui !
Dès cinq
heures du soir, tout le village était chez nous. Le père Rousseau, paralysé
depuis vingt ans, s’était fait porter jusque-là — et l’aveugle répétait en
poussant les autres :
Laissez-moi voir ! Laissez-moi voir !
Sacha
Guitry, Mémoires d’un Tricheur, 1935.
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