Paulette
Lestafier n’était pas si folle qu’on le disait. Bien sûr qu’elle reconnaissait
les jours puisqu’elle n’avait plus que ça à faire désormais. Les compter, les
attendre et les oublier. Elle savait très bien que c’était mercredi
aujourd’hui… Elle avait mis son manteau, pris son panier et réuni les coupons
de réductions. Elle avait même entendu la voiture de la Yvonne au loin … Mais
voilà, son chat était devant la porte, il avait faim, et c’est en se penchant
pour reposer son bol qu’elle était tombée en se cognant la tête contre la
première marche de l’escalier.
Paulette
Lestafier tombait souvent, mais c’était son secret. Il ne fallait pas en
parler, à personne.
« A
personne, tu m’entends ? » se menaçait-elle en silence. « Ni à
Yvonne, ni au médecin et encore moins à ton garçon…
Il
fallait se relever lentement, attendre que les objets redeviennent normaux, se
frictionner avec du Synthol et cacher ces maudits bleus.
Les
bleus de Paulette n’étaient jamais bleus. Ils étaient jaunes, verts ou violacés
et restaient longtemps sur son corps. Bien trop longtemps. Plusieurs mois
quelquefois… c’était difficile de les cacher. Les bonnes gens lui demandaient
pourquoi elle s’habillait toujours comme en plein hiver, pourquoi elle portait
des bas et ne quittait jamais son gilet.
Le
petit, surtout, la tourmentait avec ça :
- Alors, Mémé ? C’est
quoi ce travail ? Enlève-moi tout ce bazar, tu vas crever de chaud !
Non, Paulette Lestafier n’était pas folle du tout. Elle
savait que ses bleus énormes qui ne partaient jamais allaient lui causer bien
des ennuis un jour…
Elle
savait comment finissent les vieilles femmes inutiles comme elle. Celles qui
laissaient venir le chiendent dans leur potager et se tiennent aux meubles pour
ne pas tomber. Les vieilles qui n’arrivent pas à passer un fil dans le chas
d’une aiguille, et ne se souviennent même plus comment on monte le son du
poste. Celles qui essayaient tous les boutons de la télécommande et finissent
par débrancher l’appareil en pleurant de rage.
Des
larmes minuscules et amères.
La
tête dans les mains devant une télé morte.
Extrait
de Ensemble, c’est tout
Anna
GAVALDA
Il est indispensable de traduir etrès soigneusement le texte avant le cours. Il est impossible d'apprendre à traduire en regardant traduire les autres.
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